GAEC
La formule qu’avait proposée le GAEC de bio-élevage était attractive : de la viande de qualité, bio, pas chère, en circuit court. En sus, de la naissance à l’abattage vous receviez régulièrement par courriel des nouvelles et des photos de votre veau pré-acheté. Elle y avait vu une opportunité pratique pour garnir le congélateur familial, et en avait même fait la promotion au bureau. Les messages des premières semaines étaient brefs et attendrissants. Mais au fur et à mesure que le veau grandissait, dès le 2e mois, ils devenaient plus fréquents et les photographies régulières témoignaient de sa croissance rapide et de cette beauté naturelle qui allait s’accentuant. L’augmentation du courrier trahissait peut-être le fait que que l’animal savait ses jours comptés -et elle ne s’en inquiéta pas. Au 4e mois, un jour où elle avait reçu cinq messages empressés dans la matinée, par amusement, elle lui répondit. Dès lors, très vite, leur correspondance devint plus abondante, plus intense, s’osant à toujours plus d’intimité et de recherche de sens commun. C’était un veau d’une intelligence fine, mais qui pouvait avoir avait des opinions très tranchées et elle aimait ce type de caractère. C’est au 5e mois que son veau commença à évoquer le véganisme et ses selfies en gros plans sur ses yeux mouillés devinrent bouleversants. Vers le 6e mois, alors que l’échéance de l’abattage approchait et qu’elle était totalement sous le charme de l’être sensible et désespéré qu’il était, de plus convaincue par ses arguments sociétaux et écologiques, elle lui renvoya signée la lettre de renonciation aux colis de viande, et accepta sans hésiter de lui virer de l’argent afin de financer son évasion et l’aide d’un passeur. Mais elle découvrit la même semaine que le veau, son veau, entretenait une correspondance enflammée avec une collègue de bureau. Le pire, c’est que celle-ci était laide et absolument sans finesse. (à Saint-Gildas-des-Bois, 44, 14 juin 2019)