
Moulin
Elle avait toujours rêvé habiter un moulin, avec un vaste terrain autour, et un âne. il l’aimait toujours follement, et comme il avait tant travaillé qu’il était devenu riche, il avait pu lui acheter un moulin pour son anniversaire. Mais voilà, il avait eu l’idée un peu tard, et il n’avait trouvé que ce moulin là. Il n’y avait pas d’âne et le moulin n’avait pas d’ailes. Alors il l’appela le « mouin », le moulin sans l. Lorsqu’il la mena au mouin, tout heureux de lui offrir, et tout content de lui expliquer que le mouin, c’était mieux que rien, la réaction de son aimée fut extrêmement violente et cruelle : elle voyait dans le mouin « tout lui », qui ne « faisait rien complètement », comme toujours, depuis tout le temps, et le « moins » c’était bien lui encore et toujours, lui qui avait tant travaillé toutes ces années qu’elle ne l’avait guère vu, plus que moins. Oui toutes ces années à faire les choses à moitié. Alors le mouin c’était vraiment l’expression de cette approximation qu’elle lui reprochait. Elle aurait préféré, disait elle, qu’il ne fasse rien plutôt que de lui offrir cette vision dégradée de son rêve qu’il abimait, car décidément il gâchait tout, depuis toujours. Ce fut l’incident déclencheur. Ils se séparèrent peu après, et il eut le cœur brisé. Et il laissa tout à l’abandon, ne souhaitant jamais occuper le moulin sans aile, sans l, sans elle.
(Vallet, 44 – 19 juillet 2019)