Cinéma

Cela faisait des années qu’il voulait s’offrir ça. En fait, depuis qu’il avait lu dans l’interview de ce réalisateur que « La vie devrait être comme au cinéma », il avait toujours eu envie de vivre ça, de vivre comme ça.  Et là, depuis une semaine, c’était vraiment comme ça, comme au cinéma. Il s’était habillé en sport, des vêtements serrés qui l’avantageaient, pour se sentir bien, beau et fort. Il avait mis ses bottes mexicaines à talon, et les centimètres gagnés lui donnaient l’impression d’être plus grand, plus impressionnant lorsqu’il chaloupait sur les trottoirs. Il voyait bien que les gens s’écartaient, le dévisageaient. Alors il baissait un peu la tête, les regarda au travers de sa mèche folle. Il adorait l’image qu’il devait donner.
Une star, comme au cinéma.
Avant de se lancer, il avait préparé sa playlist musicale sur son téléphone, et il l’écoutait en permanence et en boucle dans ses écouteurs comme la bande son de ses moindres faits et gestes, et elle les embellissait. Parfois, il avait l’impression réelle de regarder le film de sa vie, de vivre dans un putain de film, dans un cadre, avec des effets de lumière et de prises de vue, les couchers de soleil de face, sur la route. C’était grisant, mieux : exaltant.
Il sillonnait les routes depuis le début de son propre film, la musique à fond dans la voiture, s’arrêtait au hasard dans des bleds paumés, des grandes rues désertes. C’était un road movie. C’est ça, comme dans un film américain. Et comme font les acteurs dans les films, les héros, les personnages, parfois il tapait sur le volant en conduisant, en chantant à tue-tête, ou simplement poussait des cris de joie, adressait des doigts d’honneur aux piétons sur le bord de la route.
Comme-dans-les-films.
Il avait retiré de l’argent, s’était empli les poches de billets, il avait bu des bières et avalé des sandwichs dans des troquets improbables en lorgnant les serveuses qui lui avaient souri avec gêne. Il adorait ça.
Il avait encore et encore roulé au hasard.
Comme-au-cinéma.
Là, d’un coup de volant, sur une intuition, sur une impulsion, il venait de prendre un chemin de terre, cahotant, et s’enfonçant dans les vignes, il avait fini par se garer devant un bosquet d’arbres. La lumière des phares conférait au lieu une ambiance très polar.
C’était absolument génial à vivre.
Il coupa le contact et éteignit ses phares et l’autoradio, termina sa cigarette qu’il jeta par la fenêtre de sa portière,  écouta le silence, puis la rumeur d’une voiture au loin, le temps que son regard s’habitua à l’obscurité. Enfin, il descendit, huma l’air qui sentait le printemps, remit ses écouteurs et enclencha la playlist, puis comme dans un film, comme au cinéma, sur un air de blues métal, ouvrit le coffre, empoigna la pelle et la pioche et avança dans les herbes pour trouver un endroit où enterrer le gosse.


(Vallet, 44 – 06/01/25)