« Un parfait inconnu » : Chalamet en bof Dylan

Je suis sorti de « Un parfait inconnu » de James Mangold avec Timothée Chalamet acteur (et co-producteur) qui nous fait le biopic partiel de Bob Dylan, assez content… avant de comprendre que c’était dû aux chansons du futur prix Nobel de littérature et de Joan Baez, à la reconstitution de l’époque (bagnoles, frigos, vestes col pelle à tarte) plutôt qu’au film lui-même. En fait, c’est du pur formaté hollywoodien (entre autres, la structure du récit avec la scène cruciale en public — certes, forcément c’est un concert — en climax (*) du 2e acte comme tarte à la crème, quand Dylan goes electric lors du festival de Newport, pour reprendre le titre du bouquin dont c’est inspiré). Surtout, Chalamet, toujours expressif comme un étui de guitare a trouvé un rôle qui lui sied : Dylan en petit jerk désagréable mégalo, Dylan derrière ses lunettes noires, pour Chalamet, c’est parfait. La dernière scène — il va faire ses adieux à Woody Guthrie malade à l’hôpital (et on reboucle sur le début, bonne idée de scénar Coco) — est ratée : Chalamet qui n’a d’ordinaire aucune expression dans le regard (et pourtant sa tronche en gros plan, on se la cogne, c’est du niveau Christophe Lambert dans Greystoke) en profite pour nous donner une expérience client du vide. Mangold cherche sans doute l’effet Koulechov, genre. C’est pathétique. J’espère que personne ne s’y fait prendre (**).
Bref, c’est un film crunchy pour une soirée canap’ Netflix, mais ça ne pisse pas plus loin et n’aborde pas les sujets qui fâchent (***). Au mieux, c’est un machin à regarder en école de scénar pour voir si tout est bien présent, si on a oublié aucun module narratif.
Ensuite, pourquoi Chalamet a-t-il autant de succès ? The answer, my friend, is blowin’ in the wind.

(*) Il y a 4 façon de climax en scénario (fin du 2e acte, la plus grande scène « aboutissante » du film avant le 3e acte « résolution » qui dure alors quelques minutes. Interrogez-vous combien de fois vous avez vu ça (jusqu’à la nausée). Le numéro 2 est le plus utilisé systématiquement au cinéma : 
– 1 – conflit  : incendie ; duel, massacre, fusillade, poursuite.
– 2 – événement public : aboutissement en présence du public ; représentation ; épreuve sportive, championnat ; concours ;  élection ; mariage ; fête ; procès ; concert ; conférence de presse…
– 3 – mort d’un des personnages ou suicide
– 4 – spectaculaire : pas conflictuel, mais signifiant. Ex : Mont Rushmore dans La Mort aux trousses d’Hitchcock.

(**) Cette scène finale de quelques secondes écrite à la truelle quatre couleurs mérite des commentaires : au début du film, « l’incident déclencheur » (fin du 1er acte exposition, entrée dans le 2e acte développement) montre la « révélation » de Dylan : il est venu chanter et rendre hommage à Woody Guthrie (THE fondateur du folk song US) à l’hôpital en présence de Pete Seeger (inlassable défendeur du folk song traditionnel acoustique). C’est son arrivée dans l’histoire et symboliquement son acte d’entrée dans le game, et le moment où Seeger et Guthrie se disent : « la vache ! le gosse a bien du talent ». La scène finale, Dylan qui est désormais célèbre, adulé et passé à l’électricité non sans quelques tomates reçues, revient saluer Guthrie, toujours plus mourant, avant de filer vers de nouvelles aventures. Dylan (les yeux vides à la Chalamet donc) passe la main dans les cheveux du Guthrie paralytique et mutique qui, on le voit bien sans les analyses, n’en a plus pour longtemps. Cela signifie dans ce geste que l’on a voulu affectueux (ou condescendant ?) que Dylan dit au mourant : « c’est fini pour toi mon vieux et le folk song va crever aussi ; la page est tournée pour tout le monde, et moi je m’en vais vers la pop. » Voilà. Les scénaristes vous ont mis ça pour que vous compreniez bien, hein — parce que parfois, le public est un peu lent.

(***) À noter qu’on passe rapidement sur le phénomène protest song, ça doit être trop ringard. Autre exemple : Chalamet et les autres n’arrêtent pas de cloper ostensiblement. Sans doute un moyen euphémistique, politiquement correct, mais hautement subversif d’aujourd’hui de nous dire que ce sont des bad boys and girls qui prenaient des trucs louches. La clope, c’est tellement représentatif des temps obscurs.