Frigo

Elle lui demande ce que c’est que ce truc bizarre. Il lui répond que c’est du pâté. Alors elle s’inquiète et intriguée examine la chose et lui dit : Mais ça sort d’où ? — Ben, du frigo, qu’il répond. Au fond du frigo ; je l’ai retrouvé. Il montre le plastique déchiré où se trouvait le pâté. Mais tu ne vas pas manger ce truc ? dit-elle, il est tout vert. Le pâté c’est pas vert… Enfin le pâté persillé si, et encore c’est jamais vert à ce point-là. Fous-moi ce truc à la poubelle. Mais lui il ne veut pas : il veut le manger ce pâté. Il explique qu’il a déjà mangé des trucs périmés, des trucs avec des dates dépassées de trois mois, de quatre mois, et il n’a jamais rien eu, même pas ça. Rien de rien. Ce sont des conneries les dates, et en plus il ne faut pas jeter. On gaspille trop, et c’est pas bon, la planète et tout le bazar, je te rappelle. Il faut tout manger : ça, c’est vert de pas gâcher, mais ce pâté, faut arrêter, il n’est pas vert. Elle s’énerve, car il est de mauvaise foi. Il s’obstine parfois pour de ces trucs… On ne comprend même pas pourquoi il ne veut pas céder : elle ne lui parle pas des dates ; elle lui parle du pâté. Elle lui dit : enfin tu vois bien qu’il est vert ce pâté. Il répond que non, qu’il n’est pas vert, qu’il faut arrêter de psychoter avec son pâté. Il a foncé un peu, car il s’est oxydé, c’est tout. Les cornichons c’est vert, les légumes c’est vert, les martiens c’est vert, mais ce pâté il est très bien, et il sourit, et puis zut tu me gonfles, et il tranche en deux le reste de pâté et gobe coup sur coup les deux morceaux.
En sortant des urgences après son lavage d’estomac le surlendemain, il lui dit tu vois celui qu’est devenu vert c’est moi, c’était pas le pâté, et il se marre, et elle le regarde et lui dit hahaha, t’es pas devenu vert, t’es juste devenu vraiment con, c’est tout.

(à Vallet, 44 – 19/10/19)