
Confusions
Son voisin de palier lui avait apporté un sac entier de champignons, des rosés des prés, et elle s’était réjouie de cette bonne surprise : c’est simple, elle adorait cela ! Ils étaient superbes, frais visiblement, et de taille imposante. Ils sentaient bon l’humus et cette odeur lui faisait un bien fou. Elle n’avait pas mis les pieds hors de la ville depuis des lustres et la nature lui manquait.
Après avoir lu quelques recettes ici et là sur Internet, elle les lava, les éplucha, les coupa en dés et décida de simplement les fricasser avec de l’huile d’olive, du persil, un soupçon d’ail pour accompagner une escalope de poulet qui s’impatientait dans le réfrigérateur à l’approche de sa date de péremption. Elle s’ouvrit une bouteille de vin, se versa un verre et se cala devant son assiette, en salivant d’avance. Et pourtant ce n’étaient même pas des cèpes !
Tout en s’offrant quelques gorgées de vin préliminaires, elle se souvint que le voisin, il y avait deux ou trois ans, rentré un soir éméché, s’était trompé de porte d’appartement. Une autre fois, dans une conversation de palier à propos de cinéma, il avait confondu une actrice avec une autre. Et enfin, il y avait eu cette fois lorsqu’elle s’était aperçu qu’il employait le mot velléitaire à contresens.
Elle reposa son verre et observa les morceaux de champignons noircis par la cuisson.
Parsemés de minuscules morceaux de persil, ils lui parurent soudain menaçants. Alors elle se leva brusquement et jeta le contenu de l’assiette à la poubelle, puis dîna en mâchant péniblement de ce qui lui restait — un vieux quignon de pain rassis— accompagné du reste de sa bouteille.
Puis alla se coucher complètement pompette.
(Vallet, 44 – 24/10/2019)