Mante

Après avoir tambouriné à la porte, les deux pompiers, sous les yeux effarés des voisins de l’immeuble, fracassèrent la porte. Le premier d’entre eux avança à pas prudents dans l’appartement le bras tendu en arrière comme pour ralentir son binôme. Il remonta le couloir et pénétra lentement dans le salon en respectant les consignes de vigilance qu’on lui avait récemment enseignées et qu’il se remémora pour vaincre sa peur. C’était un jeune pompier, un débutant qu’on envoyait au front pour la première fois, et, en vérité, il n’en menait pas large. Il aurait préféré que la gendarmerie s’occupe de cette intervention. Ils savent faire, eux. Ils en ont vu d’autres, eux. Et là, les cris étaient insoutenables.
La femme qui hurlait était debout sur la table du salon, défigurée par la terreur. Son expression et ses cris étaient si impressionnants qu’il n’y avait aucun doute : elle était devenue totalement folle. Il se sentit frissonner. Il se tourna vers son collègue qui attendait sur le palier et lui fit signe d’avancer. A deux, ils n’allaient pas être de trop pour la maîtriser.
En rentrant, pour son premier rapport, il écrivit : « La jeune femme, certainement phobique a été internée provisoirement sur ordre du médecin-chef après examen et administration de calmants. » Il soupira. À la brigade, on allait se foutre de lui, mais tant pis, il ajouta dans le but d’être exhaustif, car c’était le job et de toute façon son binôme allait le raconter partout : « C’’est en voulant neutraliser la mante religieuse durant l’intervention que d’un coup de hache, j’ai malencontreusement coupé la table en deux ».

(Vallet, 44 – 26/07/2019)