
Galets
Ils sont des milliers à assurer, répéter, alarmer qu’il ne reste plus que 30 à 50 ans, peut-être moins, avant que ne débute l’effondrement — et c’est une angoisse terrible qui l’étreint désormais à tout instant. Ils avouent qu’on ne sait pas ce qui déclenchera la chute des dominos. Certains plus alarmistes disent que c’est imminent ; ils clament que cela a peut-être même déjà débuté, mais qu’on ne sait pas où cela se trouve. Ce qui la désespère, outre que c’est sa fille qui connaîtra ces moments terribles car elle sera sans doute partie, outre que des millions d’êtres périront, outre que bien des merveilles naturelles vont disparaître, c’est cet immense gâchis que cela aura représenté. Car tout de même, et malgré tout, il y a eu tant de choses accomplies, tant de beautés créées, tant d’arts, de monuments, d’espoirs concrétisés… Prise au dépourvu, elle ne sait que faire, pense qu’il n’y a même rien à préparer, car c’est un saut dans l’inconnu — et aucune des civilisations précédentes n’a laissé de conseils… Alors elle emmène sa fille chaque jour sur la plage, près des vagues immuables, et toutes deux fabriquent de petits Stonehenge, de minuscules mégalithes, des temples, des villages, des œuvres frustres mais belles avec ce qui restera forcément après la catastrophe entre des déchets inutilisables : de la pierre et des morceaux du bois flotté.
Et chaque matin, après chaque marée comme une répétition dans l’attente du recommencement qui forcément adviendra, comme pour conjurer le sort aussi, toutes deux, inlassablement rebâtissent.
(Carteret, Basse-Normandie, 01/0819)