Balayage

Lors de chaque entretien saisonnier d’évaluation il apparaissait de façon récurrente, d’après le chef de service, que les objectifs n’étaient jamais atteints car il ne parvenait jamais à complètement balayer le sable avant la venue des premiers baigneurs. Ce n’était jamais parfait. Il rétorqua qu’il s’appliquait mais que la tâche était délicate, et dépendante du vent ou de l’humidité. Rien n’y faisait : le chef de service continuait de se référer à sa grille de critères d’évaluation, or, si on la suivait avec rigueur, il était clair que tous les attendus n’étaient pas remplis ce qui était tout de même incroyable car à force de faire, refaire, recommencer cette tâche il aurait dû se perfectionner depuis le temps, acquérir un savoir-faire, de l’expérience — et que c’était la moindre des choses qu’on pouvait exiger de lui. Lui, il se défendait chaque fois en expliquant que la grille d’évaluation n’était pas adaptée pour ce travail particulier. On pouvait noter ses collègues avec -ils occupaient, eux, des postes avec des tâches quantifiables, des résultats attendus qui étaient concrets et palpables —, mais lui appliquer les mêmes critères relevaient de l’injustice. Il tentait toujours d’expliquer que ce système de notation était absurde. Son chef de service n’en démordait pas et chaque entretien d’évaluation se terminait sur une sorte de négociation : il promettait de faire mieux et son chef acceptait de ne pas en référer à la hiérarchie. Finalement ce boulot et son évaluation était un foutu éternel recommencement, comme le balayage lui-même en somme, et parfois c’était à se demander si tout cela avait, au fond, un sens.


(Esplanade de Pontaillac, Royan – 09/08/19)