
Phénomènes
Incapable de décrocher du roman qu’elle venait d’entamer dans le bus, elle chercha où s’asseoir un moment afin de terminer de dévorer le chapitre en cours. Elle avait un bon quart d’heure devant elle ; or le cabinet du dentiste n’était plus qu’à une minute au coin de la rue. Sur un banc, la vieille qui piquait du nez au soleil ne s’aperçut même pas de sa présence lorsqu’elle se plaça à ses côtés. Elle sortit avec gourmandise le livre de son sac à main. C’était le dernier roman de cet auteur incroyable qui parvenait à vous tenir en haleine à partir de n’importe quoi, et en utilisant pourtant des combines éculées.
Elle se replongea dans l’histoire : il était à cet endroit question d’un village en proie à l’apparition de phénomènes paranormaux. L’héroïne était sur le point d’ouvrir la porte de la cave de sa nouvelle maison — ce qu’on lui avait pourtant dissuadé de faire. Soudain, dans son champ visuel quelque chose bougea. Elle releva la tête et s’aperçut qu’une branche se trouvait à quelques mètres du banc. On aurait dit une araignée de bois, une créature étrange et surgie de nulle part, qu’elle n’avait pas remarquée en descendant du car ni en venant s’asseoir. La rue était déserte et calme. À côté sur le banc, la vieille ronflait doucement.
Elle se remit à lire, mais sursauta, manquant d’échapper son livre. Elle avait la curieuse et désagréable impression que la branche venait de se rapprocher du banc. Elle corna sa page, ferma son livre et se dit que c’était ridicule – que ce roman l’impressionnait de façon excessive. Elle regarda sa montre : il était de toute façon temps de se rendre chez le dentiste. Troublée, elle se leva nerveusement, ce qui réveilla la vieille dont elle croisa le regard vide. Elle lui envoya un sourire crispé, fourra son livre dans son sac, et s’éloigna en direction du cabinet. Elle n’avait pas fait une vingtaine de mètres que commencèrent les cris de terreur de la vieille.
[D’après une photo envoyée sur Instagram par @picsaaron qui m’a donné la bonne idée de proposer ceci : envoyez-moi une photo (francis.mizio@yahoo.fr), et si elle m’inspire, j’écrirai une micro fiction à partir d’elle – 12/09/19].