Design

Parce qu’elle avait de nombreux diplômes en art graphique et design, faim et un loyer de retard, elle avait décidé de répondre à l’appel d’offres de la marbrerie. Il s’agissait de créer un nouveau modèle de pierre tombale de moyenne gamme qui « allie les symboles à une esthétique contemporaine » pour une clientèle qui avait « écarté l’idée de à la crémation sans occulter ses préoccupations écologiques ». Elle avait passé quelques jours à dessiner des modèles inspirés par des sculpteurs qu’elle admirait tels Henry Moore, Rabarama, Thomas Plensa, Genco Gülan ou Paige Bradley, en se souciant d’effets qu’elle souhaiterait obtenir avec les veines des marbres utilisés.
La présentation de sa vingtaine de planches devant les trois jurés (le directeur général de la marbrerie, le directeur de production, le directeur du marketing, de la clientèle, des relations fournisseurs et de la veille concurrentielle) fut tôt fastidieuse. Devant des moues mutiques et dubitatives, elle rama en constatant qu’elle ne ferait jamais l’affaire… Lors de la dernière planche, alors que le directeur du marketing consultait son smartphone et que le directeur général observait la progression de la croissance de ses ongles, elle eût un soudain réflexe de survie, voyant passer devant ses yeux l’image de son bailleur furibard et celle d’une casserole de coquillettes au beurre. Elle fouina en un éclair dans son ordinateur et ressortit un dessin, inachevé parce qu’elle l’avait jugé trop hideux, effectué jadis pour une couverture d’un roman d’amour et de fantasy. « Enfin voilà, dans un registre différent… En quelques mots clés : la terre, les racines, l’arbre de la vie, l’écologie… Et l’amour éternel bien sûr ! L’amour plus important que tout, mais au même niveau que le reste». Puis elle se tut, et se mordit la lèvre. Elle avait épuisé ses cartouches. Le directeur général se redressa sur sa chaise, et consulta du regard les deux autres. « Ça… C’est juste parfait. Félicitations mademoiselle ». Alors tout en écoutant leurs questions d’un sourire crispé, elle se demanda si en art funéraire on pouvait prendre un pseudo.

(Depuis une photo communiquée sur Instagram par @clangeois > Vous aussi soumettez-moi une photo ! – 13/08/19)