
Trop
Dès le début ils trouvèrent qu’il était « trop » : trop efféminé, trop maniéré, trop volubile. Trop décalé, habillé de façon trop peu conventionnelle. Ils trouvaient qu’en réunion il parlait de trop, se mettait trop en avant et que s’il avait de bonnes idées, il en avait tout de même de trop et qu’il voulait aller trop vite, bousculer trop de choses. Il se croyait peut-être trop compétent ? Avait-il été trop surévalué à l’embauche ?
Plus tard, son bureau à l’étage trop haut pour son statut, estimèrent-ils, avait été vraiment trop vite acquis. Un bureau trop grand par rapport à un poste bien trop tôt décroché. Il devait y avoir à coup sûr trop de choses derrière tout cela, mais l’époque, chuchotaient-ils, était peut-être aussi devenue un peu trop tolérante.
Dans son bureau ses posters de Maryline Monroe étaient vraiment trop ringards, ses plantes vertes trop abondantes… Et puis ce goût qu’il avait, trop sophistiqué, pour le thé — et aussi sa passion trop affirmée pour l’opéra achevèrent de convaincre qu’Il était vraiment « trop connoté » — comme avait dit l’un d’entre eux, lançant un regard entendu. Mais ils firent tous avec. Les temps étaient trop difficiles pour se permettre de trop se plaindre dans la boîte. Mais c’était trop calme ; cela allait finir par éclater.
C’est ce qu’il finit par se passer : il décrocha une place de parking sous l’immeuble de l’agence. Sa voiture trop ridicule était vraiment trop petite pour en justifier l’usage. C’était vraiment trop, là. Tous ceux qui attendaient de pouvoir bénéficier d’une place libérée depuis trop longtemps, avec leurs bagnoles trop longues pour se garer dans la rue, devinrent alors vraiment trop cons.
Oui, vraiment trop cons. C’est ce qu’estima le juge, quelque temps après l’affaire, sans trop avoir besoin d’aller chercher plus loin.
(Nantes – 21/08/19)