
Plage
Ils s’étaient connus sur la plage, en bas de la maison de leurs parents voisins. La première fois, il était venu détruire ses pâtés de sable — et elle l’avait détesté.
À la maternelle, puis à l’école primaire, puis au collège, ils furent tantôt amis, tantôt fâchés, mais toujours il venait la protéger. Se retrouvant dans une fête à l’adolescence, ils sortirent un peu ensemble, mais se perdirent de vue durant les études.
Ils se retrouvèrent un après-midi sur la plage lors d’un bain de minuit entre étudiants qui arrosaient leur diplômes. En discutant les jours suivants, ils s’aperçurent qu’ils avaient tant de points communs, tant de centres d’intérêt partagés, et s’étonnèrent d’être passés à côté de tout cela.
Après leur mariage, ils emménagèrent dans une des maisons familiales face au Golfe et prirent pour habitude, en sortant du travail tous les soirs, par tous les temps ou presque, d’aller nager côte à côte avant le dîner. Ce fut des décennies plus tard, alors à la retraite, qu’ils changèrent leur habitude : le bain devint matinal. L’après-midi était plutôt consacré à la sieste, et il y avait désormais trop de monde en fin de journée.
Au bout de quelques mois elle s’aperçut qu’il avait de plus en plus de mal à nager à sa hauteur. Elle se retournait, inquiète, l’attendait, en cherchant discrètement à ralentir toujours un peu plus son propre rythme, sans lui dire pour ne pas le blesser, pour qu’ils puissent continuer de nager de concert.
Un jour, elle comprit que c’était devenu trop difficile pour lui. Elle prétexta qu’elle devenait de plus en plus frileuse, et lui suggéra, hélas, de cesser leur rituel. Il accepta sans difficulté, comme soulagé. Depuis, ils venaient s’asseoir côte à côte chaque matin sur le banc au dessus de la plage — et observaient en silence les jeunes couples de nageurs.
Puis il y eut ce fameux soir où elle aperçut un petit garçon qui était en train de détruire les pâtés de sable d’une petite fille, qui en était folle de rage. Elle lui donna alors un léger coup de coude pour lui montrer la scène.
Il ne réagit pas.
Elle insista et lui dit de regarder dans la direction des enfants, que cela allait lui rappeler quelque chose et lui redonna un coup de coude. Mais, figé sur le banc, il ne lui répondit toujours pas.
(Petite Plage de Kervoyal – 2/09/19)