[Reco livres] « Devenir fasciste – Ma thérapie de conversion », de Mark Fortier (septembre 2025)

Mark Fortier est sans doute pour certains haters, trolls et autres crétins ou brutes de droite ou d’extrême droite un journalope sociologuolope gauchiasse, sinon un épouvantable woke. Pourtant, dans ce remarquable essais, les woke et démocrates en prennent eux aussi pour leur grade dans le tissage de la nappe fasciste actuelle qui nous recouvre — et ce n’est pas le moins intéressant.
Si « la thérapie de conversion » annoncée de l’auteur est un fil tenu, mais ténu, il s’agit surtout de dire dans cet ouvrage, très richement référencé historiquement et scientifiquement, comment la société entière s’est, elle, préparée, adaptée, convertie à l’arrivée du fascisme revêtu d’habits neufs tel qu’Orwell l’avait prédit, en s’y attachant, somme toute, depuis l’après-guerre. Car il s’agit bien de fascisme ; le terme y est nettement circonscrit, redéfini.
Sur un ton impeccable et imperturbable, avec de nombreux pas de côtés — on est souvent face à des arguments qui nous changent un peu des anathèmes habituels et fainéants taillés à la serpe — Mark Fortier, avec un regard depuis Québec qui permet donc d’apporter bien des nuances sur le monde et la France que nous ne percevons pas complètement, et une froideur sans déploration ni déprime, récapitule un état des lieux advenus (car on y est déjà, même que partiellement en France : il le pointe) et prévient de ce qui nous attend en pire. Ce calme résolu et analytique devant ce qui est pourtant il faut l’avouer pourtant terrifiant, constitue les meilleures réponses et espoirs, puisqu’il fait appel, entre autres, à l’intelligence.
Servi par une langue limpide et belle (avec de belles formules, même : « Vieillir a ses avantages, dont celui d’avoir des souvenirs, si tant est qu’on n’a pas perdu la mémoire »), ce grand petit livre comprend par ailleurs deux chapitres qui m’ont particulièrement marqué : « Les libertariens – Les vertus de l’égoïsme » (avec au passage une anecdote stupéfiante, mais signifiante, sur un médecin randonneur) et surtout « On les pendra avec leur langue » sur l’actuelle « destruction massive du langage » (*) ; destruction contemporaine qui dépasse celle effectuée par les nazis et analysée dans les célèbres travaux de Victor Klemperer dans son Lingua Tertii Emperi ; destruction tout aussi toxique et qui passe par le langage administratif, la novlangue d’entreprise et autres conneries telles qu’on en lit sur LinkedIn — et pas seulement dans les « médias » ou sur les réseaux sociaux communément accusés.
Alors : la thérapie de conversion ? Nous ne sommes pas toutes et tous dedans, mais force est de constater que nous l’avons toute préparée, et ce, malgré nous. À lire absolument.

Présentation de l’éditeur : «La première étape de la thérapie de conversion au fascisme, c’est le lâcher-prise. Le sujet doit s’ouvrir intérieurement au changement, laisser agir en lui la peur, s’abandonner aux petites lâchetés et aux compromissions opportunes. Cela ne va pas de soi. Heureusement, des personnalités exemplaires nous montrent comment on peut accepter le changement par degrés, subrepticement, sans coup d’éclat.»
L’extrême droite a pris le pouvoir dans une foule de pays et elle menace de triompher dans plusieurs autres. Mark Fortier s’inquiète, mais il est aussi très las. Résolument campé à gauche dans ses convictions politiques, il constate que s’il ne veut pas être la proie des prochains maîtres du monde, il lui faudra changer de camp.
Bien entendu, ce «journal de conversion» est une satire, un pamphlet cinglant et comique qui s’en prend aux fascistes, mais en premier lieu à tous ceux qui ont laissé la démocratie se dissoudre. L’auteur s’y compose une psyché autoritariste et s’efforce d’adhérer avec enthousiasme aux convictions de la droite radicale. Il offre surtout un portrait saisissant de la dégradation de nos institutions et une description affligeante de ce qui point lorsque l’on cesse de résister. Heureusement, la thérapie échoue, laissant tout de même ce qu’il faut de raison pour ne pas céder entièrement au désespoir.

> Dans toutes les bonnes librairies et sur le site de l’éditeur


(*) il faut dire que c’est mon dada, mon dernier roman en cours de refus généralisé traite de la dissolution et la dévitalisation du langage.