
[Reco séries] Comment la mini-série « Douglas is cancelled » renvoie à François Bégaudeau
Le pitch (4 épisodes d’une quarantaine de minutes, sur Arte jusqu’au 27 juin) : Un journaliste vedette de la télévision est accusé d’avoir dit une blague sexiste lors d’une soirée. L’affaire s’amplifie sur les réseaux sociaux lorsque sa co-animatrice s’en mêle. C’est le début d’une descente aux enfers et d’une implacable vengeance. Minisérie de haut vol « Douglas Is Cancelled » est signée Steven Moffat (« Sherlock »). Avec Hugh Bonneville (Downtown Abbey) et Karen Gillan.
Pourquoi la reco : c’est malin, très écrit. On se fait un peu trimballer (du moins, moi… À un moment, lors du 3e épisode — lequel est toutefois le moins passionnant — j’ai cru que la série allait faire une erreur qui viendrait à l’inverse de son argument, mais en fait non), les personnages sont très travaillés, c’est rythmé… OK… Mais ça c’est juste le job attendu et il est bien fait.
Surtout : outre sa cruauté aiguisée (c’est évidemment un monde de requins) et la distillation permanente d’un malaise diffus (tous les personnages sont détestables ; toutes les situations sont ambigües), ce qui est virtuose est la déclinaison habile et réussie de plusieurs effets successifs liés au langage en propre (or, je n’ai pas lu encore de critiques qui le relèvent) de façon théâtrale : incompréhensions, mensonges, ambiguïtés, interprétations biaisées permanentes, polysémies des termes, des phrases, injonctions paradoxales, arguments d’autorité… Chaque personnage ou presque incarne un sens du verbe actuellement déformé par (tous) les médias — soit une forme actuelle, permanente et somme toute potentiellement hostile de s’exprimer, de communiquer, d’émettre et de recevoir — décrivant, nous faisant exister et interagir dans une construction viciée et toxique du monde.
Davantage que la viralité et la toxicité des réseaux sociaux, cette mini-série pointe donc le fait qu’outre ne plus partager la même réalité, que les réalités peuvent être multiples et contradictoires, que les mots eux-mêmes, le sens qu’on veut donner à nos propos ne sont plus devenus fiables. Nous sommes toutes et tous désormais en permanence au bord d’être cancelled, nous sommes devenus nos propres ennemis, nous sommes seuls armés de nos mots affaiblis campés sur nos certitudes en sable, et ne parvenons plus à les utiliser correctement pour nous entendre mutuellement, être ensemble, pour simplement communiquer. On va finir par s’entretuer.
[Alerte spoiler… liée à François Bégaudeau et sa connerie sur le net] : or donc, après avoir regardé cette série lisez cette remarquable (et très longue) descente en flammes du dernier essai de François Bégaudeau (avec passage au hachoir de la personnalité de l’écrivain) dans lequel celui-ci se défend… visiblement en s’enfonçant : « l’affaire Bégaudeau » fait fortement écho à celle de Douglas tant en termes de dramaturgie (Begaudeau a dit des saletés sur le net et il en paie les retombées) que d’interprétations consécutives et multiples des mots, arguments, propos, pensées, concepts, idées… de chaque partie en opposition : > Frustration Magazine : « Que vaut “Comme une mule” de François Bégaudeau ? »
(Enfin, pour aller plus loin, la série m’a rappelé l’exercice virtuose de travail sur le langage (et la communication disséquée par Paul Waztlawick) de Qui a peur de Virginia Woolf, la pièce d’Edward Albee (1962) remarquablement jouée dans le chef d’œuvre de Mike Nichols par Elisabeth Taylor et Richard Burton en 1966, ou encore (car c’était bien avant même l’existence des réseaux sociaux et de la « cancel culture »), l’incroyable et puissante Oleanna de David Mamet (1992) dont le texte est hélas aujourd’hui difficile à trouver en France.)
> Sur Arte jusqu’au 27 juin 2025
> Une revue de critiques sur le site de la FNAC