
[RECO TEXTES] La tribune de Sylvie Gouttebaron à l’occasion de la révoltante fermeture de la Maison des écrivains et de la Littérature
Le texte de Sylvie Gouttebaron, directrice de la Maison des Écrivains et de La littérature (MEL) publié dans Libération le 15 juillet 2025 à l’occasion de la révoltante fermeture de la MEL est une tribune « réservée aux abonnés ». Comme pour la lettre des écrivains à propos de nommer le génocide à Gaza, j’estime que certains textes devraient être accessibles gratuitement, s’ils sont importants, plutôt que d’être publiés derrière le mur payant du site web d’un journal qui vend peu, un 15 juillet de torpeur de vacances, lors duquel tout le monde s’en fout plus que d’ordinaire. Aussi, le voici, ci-dessous.
J’ai bénéficié de l’aide de la Maison des Écrivains et de la littérature, il y a quelques décennies, grâce à elle suis intervenu en milieu scolaire, prisons, ateliers d’écriture… J’ai même raconté mon expérience dans un ouvrage collectif que la MEL édita. Et ce n’était pas la moindre de ses vertus que de mettre en place de telles actions… Cette année une pétition, des actions, des textes, ont tenté de sensibiliser pour endiguer la lente asphyxie d’année en année de la MEL, jusqu’à l’ultime coup de grâce donné par Rachida Dati, ministre de la Culture, coupant une fois de trop tant les subsides qu’il n’y a pas eu d’autre issue que sa disparition.
Monsieur le Président, voici les clés de la Maison des écrivains, liquidée par votre ministre de la Culture
Avec la mise à mort de la Maison, définitive ce mercredi, vous étouffez dans l’œuf la possibilité de l’imagination, de la parole, du poème, déplore Sylvie Gouttebaron, l’ex-directrice de l’institution culturelle.
par Sylvie Gouttebaron, écrivaine, publié le 15 juillet 2025 à 10h14 dans Libération
Ainsi, monsieur le président de la République, monsieur le Premier ministre, avez-vous laissé vos services administratifs fermer la Maison des écrivains et de la littérature sans lever le petit doigt, en laissant tout simplement faire le personnel du ministère, sans intervenir malgré votre goût revendiqué, et certain semble-t-il, pour la littérature. J’ai rendu toutes les clés de tous les salariés au liquidateur mercredi dernier.
Je me demande souvent, depuis le 26 juin, jour où le tribunal des affaires économiques a rendu la chose publique, pourquoi vous avez laissé faire cela, cette asphyxie progressive, puis cette «liquidation». Pour faire des économies me répondrez-vous peut-être, parce que vous me répondrez, vous ne ferez pas comme le personnel du ministère de la Culture, qui a pour modèle votre ministre de la Culture, qui ne répond à rien et qui pourtant réclame de l’estime.
Ne me dites pas que vous ne voyez pas où conduit ce type d’attitude fait de mépris, cynisme et arrogance. Vous le savez bien : elle est le signe d’un populisme dont je ne peux croire que vous le cautionnez. Votre ministre de la Culture a donc obtenu la fermeture de la Maison des écrivains, qui était unique en France, en Europe, qui avait été créée par le ministère de la Culture, du temps où les artistes, l’art qu’ils incarnaient avaient leur place au cœur du réacteur.
Pourquoi vouloir nous faire croire que toute valeur est d’argent. En d’autres termes, le seul «combien cela coûte et combien cela rapporte» serait donc le critère de vos choix politiquement culturels. Pourquoi vouloir nous faire croire que rien n’est irremplaçable, que ce qui se perd n’était rien. Que les salariés de cette Maison n’étaient rien, que les auteurs, les autrices pour lesquels ils travaillaient n’étaient rien. Que les enseignants, les enseignantes, les élèves qui accueillaient ces auteurs, ces autrices ne sont rien. Qu’un événement qui marque les esprits à jamais n’a été rien.
Opposer cultures élitiste et populaire est une profonde erreur
Votre ministre de la Culture, dont je ne sais qui lui souffle les idées qu’elle met en scène, tente de créer un clivage entre une culture qui serait élitiste et une autre qui serait populaire. C’est une profonde erreur que de poser ainsi les choses, et j’ose espérer que ce n’est pas parce que la Maison des écrivains revendiquait l’exigence qu’elle est sacrifiée. Car elle est sacrifiée. Et savez-vous ce que vous sacrifiez à travers elle ? Je vais vous l’expliquer : vous sacrifiez l’imagination, vous sacrifiez la parole. Vous sacrifiez le poème, vous sacrifiez la possibilité pour les plus jeunes, d’approcher simplement l’art dans la voix de celle ou celui qui le produit.
Certes, allez-vous me dire, d’autres permettront cela, mais quels autres et avec quels moyens ? Une plateforme ? Mais messieurs, que faites-vous des relations humaines, que faites-vous de ce qui se noue entre les êtres par l’art ? Jamais la culture n’a subi ce qu’elle subit aujourd’hui. Partout des fermetures, des liquidations, des fins de non-recevoir, des «passez votre tour», et donc, des licenciements économiques (coûteux dans un temps où l’argent fait défaut). Qu’attendez-vous de cette catastrophe vous qui aimez la poésie, celle de Char ou de Bonnefoy (nous le savons, vous l’avez fait savoir). N’était-ce que effet ? N’était-ce qu’un jeu ?
Mais messieurs, on ne joue pas avec la pensée, on ne joue pas avec les sensibilités, on ne joue pas avec la culture (quel qu’en soit le champ artistique) pour en faire une politique telle que celle que vous déployez. Non, on a une vision ou l’on n’en a pas. Nous sommes nombreux à chercher la vôtre en la matière. Votre ministre est une liquidatrice, qui serait capable, si vous lui demandiez, de liquider son propre ministère tant elle ne s’appuie dessus que pour faire la besogne et prendre Paris d’assaut.
La Maison n’était pas une petite chose que l’on met à la poubelle sans risque de voir la chose grossir et devenir explosive. Vous arguerez sans doute du principe de réalité et de la nécessité pour les uns comme pour les autres de «faire avec», de «s’adapter» (terme aussi glaçant que «liquidation»). Mais jusque à quand peut-on faire avec, s’adapter, accepter sans perdre son âme. Je me le demande.
Messieurs, savez-vous que l’on ne parle plus de culture au ministère, mais «d’efficience de processus de management» et que lire y est incongru ? N’en doutez pas, nous, femmes et hommes de culture, serons toujours là pour vous rappeler que nous ne sommes pas des «variables d’ajustement», des faire-valoir, des moins que rien, des premiers ou des derniers de cordée. Nous serons toujours là pour reprendre la parole, et la garder autant de temps qu’il faut pour être entendus.