
Chronique humoristique parue dans « Shangaï Express » n°2 (février 2006 ?) : « Vols de champignons aux USA »
Shangaï Express était en 2006 une revue mensuelle (qui ne vécut que 5 numéros) sur le polar animée par l’écrivain Laurent Martin et Stéfanie Delestré (devenue depuis directrice de la Série Noire, chez Gallimard) qui obtint à l’époque le prix de la critique 2006 (Trophée Maurice Renault de l’Association 813). Ce magazine au contenu alimenté gratuitement par des écrivains me demandait d’écrire une chronique humoristique que j’avais intitulée « Bouge pas, j’t’explique ». Voici celle du numéro deux que je viens de découvrir dans le fouillis de mes ordinateurs. Je vais essayer de retrouver les autres. À suivre.
> On pourra lire l’intégralité de ces chroniques en rubrique « Vieilleries »
Chronique parue dans Shangaï Express n°2
Vols de champignons aux USA
J’ai eu quelquefois pour sujet de débat, avec d’autres soutiers de la littérature mes semblables polardeux, celui de la localisation du récit. À savoir : pourquoi est-ce qu’un polar se déroulant dans un trou du cul du Sud des USA (ex : Lompoc City, Santa Barbara County, CA.) est-il forcément plus glamour que le même, situé chez des ringards du Sud de la France? (1) En quoi les marais de Floride sont-il plus excitants que ceux, poitevins ? Los mosquitos sont-ils moins piquants si on les nomme en patois jhibrounàie ? Pourquoi le héros est-il plus viril s’il s’enfile un whisky distillé dans l’arrière-cour d’une station service de la route 66 plutôt qu’un pousse-rapière (2) lors d’une nuit de la sardine grillée à Hossegor ?
En général mes frères plumitifs, volontiers hâbleurs, écartent le problème. Ils se disent capables de situer un roman partout, même à Mouilleron-le-Captif (Vendée), avant de partir se coucher en titubant, car il se fait tard, et le lendemain il faudra dédicacer droit. Certains vont jusqu’à écrire de tels romans et décrocher des prix — ce qui fait d’ailleurs boire davantage les autres auteurs par la suite.
De fait, il faut admettre que depuis quelques années le souci de la localisation n’est plus. Voire… Un bon méfait franchouille actuel, et tous les codes du genre, tous les signifiants et les frissons sont convoqués avec la même efficacité qu’aux States.
Démonstration basée sur un fait réel :
11/02/06 (Reuters – 09:34) – LOS ANGELES –
Un gang accusé de voler des champignons dans des ranchs du sud de la Californie a été appréhendé, annonce la police de Santa Barbara. La semaine dernière, des policiers ont arrêté trois hommes après avoir trouvé une voiture suspecte dans un secteur où des propriétaires de ranchs se sont plaints de vols systématiques, depuis plusieurs années, de chanterelles, champignons appréciés par les gourmets. « Il y aura encore des vols de champignons dans ce secteur, mais je pense qu’ils seront maintenant bien moins nombreux », a déclaré Erik Raney, porte-parole du shérif du comté de Santa Barbara. La police a trouvé, dans le véhicule qu’elle a saisi, des
carnets contenant des croquis montrant l’emplacement des champignons et des documents témoignant de la vente de champignons volés pour plus de 10.000 $. Elle a également trouvé du matériel de détection soupçonné d’avoir servi à localiser les champignons.
Si je localise ce texte à la façon de la presse quotidienne (PQ) régionale (R) française, voici ce que cela donne :
18/02/06 (La nouvelle République Sarthoise Libérée).
Il paraît que des voleurs de champignons ont été interpellés dans une ferme saosnoise par la brigade de gendarmerie d’Antoigné dont l’efficacité n’est donc plus à prouver. Il y a deux semaines environ, peut-être trois selon nos sources, les brigadiers Morrissot Antoine et Sicba Amédée, déjà fameux pour la découverte de l’affaire des ballots de paille qui a tenu en haleine le canton, ont intercepté courageusement un groupe de jeunes nantis de sacs plastique Ed, après avoir repéré une vieille camionnette jaune de la Poste en bordure d’un pré où l’exploitant déplorait la disparition intolérable de ses coulemelles (champignons abondants en raison des bouses laissées par son cheptel pourtant peu subventionné depuis la politique agricole commune). « Il y aura de moins en moins de délinquance de ce type, j’en fait mon affaire. Les Sarthois ont le droit de se promener en sécurité, sans craindre de tomber face à des bandes organisées venues des cités au détour d’un sous-bois » a déclaré le maire (CNPT) du village, actuellement menacé pour son prochain mandat et qui va « sans tarder » réunir le conseil municipal (divers gauche et écologistes). Les gendarmes ont trouvé dans le véhicule probablement volé une publication anarchiste contenant un « guide des bons coins psilo » ainsi que des documents prouvant que les ventes de champignons, s’élevant à plusieurs dizaines d’euros, alimentent des réseaux parallèles très ramifiés vers le Maghreb. Ils ont aussi saisi un « aspirateur à coulemelles » d’origine slovène prouvant que la mafia du champignon est passée à un stade industriel. « Quand j’ai été muté ici, je pensais que le service serait calme », a déclaré le brigadier Morissot joint par téléphone au bar de la mairie. « Mais même en Sarthe aujourd’hui, on craint pour nos enfants ».
Oui, le vieux débat polar français vs polar US n’a plus de raison d’être. Mais peut-être est-ce depuis que « nous sommes tous américains » et que l’on désire que le shérif nous fasse peur ?
(1) Je ne cite personne: on en connaît tous. Cette revue bénéficiant en outre d’une diffusion nationale, le staff ne peut se permettre d’être tricard nulle part, même à Menton.
(2) Si vous en renversez sur la peau de votre personnage, rincez abondamment.