
L’instant du passage ultime du portique
À 18h, ce 19 juin 2025, j’ai passé mon badge sur le portique, suis sorti dans l’air vibrant de chaleur, et… c’était terminé. Je ne travaillerai plus ; du moins : pour l’argent de quelqu’un. J’ai « pris mes dispositions », car j’ai tant travaillé et cotiso-trimestrialisé jadis que je peux passer ainsi le portique ultime plusieurs années avant qu’on ne m’en donne l’autorisation à taux plein — et le taux partiel me suffira. Allez : on arrête ce cirque.
Bilan d’une carrière erratique dans le monde du travail : j’ai été confronté principalement au manque d’imagination, à très souvent une créativité et une inculture zéro, au gâchis des énergies et des compétences, à l’inertie, aux petits pouvoirs ineptes, à des pervers narcissiques et autres califes, aux mensonges, aux intrigues florentines, aux ratios valorisants [M2 carrés de bureau x nbre de plantes vertes], à l’effet Dunning-Kruger, à nombre d’esprits étriqués, etc.
Passons.
J’y ai croisé aussi — trop peu — des gens humainement formidables qui m’ont enrichi : ils ont claqué la porte, en général, en même temps que moi ou un peu avant. Certaines ou certains allaient de même bientôt jeter l’éponge — mais ils ne le savaient pas encore.
J’ai été free lance les 2/3 de ma vie professionnelle. C’est pourquoi je souhaite qu’on dresse un mausolée en hommage à cette population laborieuse qui se doit de travailler mieux et davantage que tout autre pour se maintenir en apnée. On le bâtira à côté du monument aux héros autodidactes, qui devra être plus haut, plus imposant encore. Ah si… un truc que j’ai appris quelques fois en travaillant avec des étudiantes et étudiants bien plus jeunes que moi ces dernières années : beaucoup, même s’ils suivent les règles du jeu, sont clairvoyants, ne sont pas dupes. Pour la perspective que cela induit, je les salue.
Merci pour ce moment de quelques décennies. Pour moi qui a toujours couru après le temps pour me livrer en parallèle à des choses enfin intéressantes, ou du moins qui m’intéressaient davantage, cela va être formidable : laisser libre cours à mes fixettes passagères, écrire des livres que personne ne lira, m’impliquer pour telle ou telle chose cruciale, mobiliser de l’énergie pour des sujets inutiles, et donc nécessaires.
Cette opportunité arrive tard dans la vie, certes, et hélas. Aussi, un conseil de vieux con : n’écoutez pas les coachs productivistes, les développeurs personnels, les gourous résilio-bienveillants et leurs conseils performatifs, les cornaqueurs d’ambitions… Virez-moi ce bullshit, avant, soudain (car l’épiphanie surgira subitement) de réaliser que vous vous êtes fait berner. Focalisez-vous sur les seules tâche et question qui méritent de dépenser de l’énergie : comment et quand vais-je pouvoir passer au plus tôt le badge sur le portique de sortie ?
Bonne continuation.