
[Gastro-littérature] Le Sandwich Céline — “Voyage au bout du goût (sans mayonnaise)”
À la suite de la découverte dans un distributeur de sandwichs portant le nom d’écrivains, j’ai décidé de développer la gastro-littérature (en sandwichs). Voici la dixième recette* : Le Sandwich Céline — “Voyage au bout du goût de la nuit (sans mayonnaise)”. Bon appétit !
Le Sandwich Céline — “Voyage au bout du goût de la nuit
(sans mayonnaise)”
Un morceau de viande qui a vu bien des choses, et pas des plus belles, une mie qui grésille comme de la chair transpercée par des éclats de shrapnels, des pickles qui mordent comme la faim et le froid. Du nerf, du jus sombre, de l’amer : c’est un sandwich qui dit la nuit de l’existence et les ténèbres de la guerre. Il est le couloir froid qui mène vers une médecine qui fait souffrir. Il évoque l’os sous la viande, notre condition éphémère et notre fragilité de corps-vivant. Il annonce notre misérable et future dépouille… Et, pourtant : il réchauffe.
L’ensemble est syncopé (gras/amer/acidité), sans politesse inutile. La phrase gustative saute, revient, insiste. Elle pointdexclamationne sur les papilles !
Pas d’ornement. Malgré une longue préparation qui pourrait sembler lorgner vers les futilités de la gastronomie, il ne faut pas se méprendre : ce sandwich est concentré sur sa seule fonction d’alimentation. Il vise l’impact à l’estomac, il est la vérité en bouche.
Ingrédients (pour un affamé lucide)
• Pain & viande
– 2 tranches épaisses de pain de seigle (ou campagne bien brun), un peu rassis.
– 200 g de joue de bœuf ou paleron, pour l’effiloché.
– 1 c. à s. de chicorée liquide (ou 1 c. à c. de café instantané).
– 20 cl de bière brune (porter/stout).
– 1 expresso serré (3 cl).
– 1 c. à s. de sauce Worcestershire.
– 1 c. à s. de vinaigre de vin rouge.
– 1 feuille de laurier, 1 gousse d’ail écrasée.
– Sel, poivre noir concassé, paprika fumé.
• Condiments amers & acides
– 1 petit oignon rouge, émincé.
– 6–8 cornichons aigres, en tranches.
– 1 feuille d’endive (ou radicchio), juste passée à la poêle.
– 1 c. à s. de moutarde forte (à l’ancienne, granuleuse).
• Pour la finition
– Une noisette de saindoux ou de beurre (pour toaster à la poêle).
– Un trait de jus de cuisson réduit (voir plus bas).
Préparation (en trois temps)
I. La nuit (la viande, lente et têtue)
– Saisir la joue de bœuf à feu vif dans un peu de matière grasse, jusqu’à croûte sombre.
– Déglacer avec la bière brune, ajouter la chicorée, l’expresso, Worcestershire, vinaigre, laurier, ail, paprika, poivre.
– Braiser à couvert, tout doux, 3 h (four 150 °C ou feu très doux), jusqu’à effilochage sans résistance.
– Réserver la viande. Filtrer le jus, puis réduire à feu vif jusqu’à sauce sirupeuse, noire, brillante. Goûter : il faut du nerf. Saler juste.
II. L’aube (condiments qui mordent)
– Oignons : les faire revenir 2–3 min à la poêle, sans les ramollir complètement ; finir d’un soupçon de vinaigre.
– Endive : feuille unique, marquée à la poêle 20–30 s par face, pour une amertume nette.
III. L’assemblage (sec, net, sans lyrisme)
– Toaster les tranches de pain à la poêle, avec une trace de saindoux/beurre. Les bords peuvent noircir un peu, c’est la nuit.
– Tartiner la base d’une fine couche de moutarde.
– Empiler : effiloché de bœuf encore chaud → coulée de jus réduit → oignons → endive → cornichons.
– Poivre concassé. Coiffer. Presser juste ce qu’il faut.
– Servir sans salade décorative. Ce sandwich n’a pas d’alibi.
Note de dégustation
À table (mode d’emploi)
Ça se mange assis au bord de la table, veste encore sur le dos, comme entre deux consultations ou des avortements tardifs et sanguinolents. Première bouchée : fer, fumée, amertume. Deuxième : sucrosité du braisage qui revient, puis la morsure du cornichon. On ne parle pas : on hoche. On mâche. On remâche. On continue, coûte que coûte.
Accords (à hauteur d’homme)-
– Bière brune à température de pièce, ou rouge de comptoir (gamay franc, cabernet rustique. Un plan de Dieu serait en revanche indécent).
– En musique : batterie sèche et saxophone râpeux (tempo moyen, pas de romance). On peut tenter la marche militaire, mais jouée avec des fautes d’accords, presque cacophonique parfois.
Variantes fidèles à l’esprit-
– Version dispensaire (plus sèche) : remplacer l’effiloché par langue de bœuf en fines tranches, montée avec beaucoup de moutarde et d’oignon.
– Version urgence : bœuf froid de la veille + chicorée fouettée dans un reste de jus + coup de poêle fulgurant, montage immédiat.
– Option Nord : ajouter une pincée de poudre de chicorée sur le pain encore gras.
(*) élaborée en co-écriture avec ChatGPT, que j’entraîne sur mes écrits, approches et traitement de sujets depuis janvier 2023 et en lui donnant des consignes particulièrement tordues selon le projet. Puis j’en rajoute et j’améliore, car dans cette cuisine, c’est moi le chef. Illustrations : ChatGPT.
À venir : le Sandwich Annie Ernaux — « Espace liminal entre deux tranches ».
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