
[Gastro-littérature] Le Sandwich Annie Ernaux — « Espace liminal entre deux tranches »
À la suite de la découverte dans un distributeur de sandwichs portant le nom d’écrivains, j’ai décidé de développer la gastro-littérature (en sandwichs). Voici la onzième recette* : Le Sandwich Annie Ernaux — « Espace liminal entre deux tranches ». Bon appétit !
Le Sandwich Annie Ernaux — « Espace liminal entre deux tranches »
Avec Annie Ernaux, on cuisine l’intime social : le goût exact d’une époque, de la grande surface, du frigo blanc, du néon qui fait pâlir la tomate fadasse poussée hors-sol, en hydroponique. Le sandwich n’essaie pas d’épater : il documente, il témoigne. Il fait remonter des scènes, des attentes à la caisse, des dimanches gris. C’est modeste, net, parlant.
L’esprit de ce sandwich sera donc celui d’un assemblage ordinaire et daté (années 80–90 en filigrane), à la fois tendre et un peu acide. Rien de “gastro” : juste, reconnaissable, socialement situé. C’est une recette exacte, économe, partagée par des millions, et pourtant chargée de mémoire. Ce sandwich qui sait se positionner dans ses classe sociale et statut laisse remonter, au mâché comme à la digestion, des phrases et des phases de la vie.
Ingrédients (pour 1 personne)
Pain et base
1 demi-baguette de supermarché (de la veille de préférence) ou 2 tranches de pain de mie blanc (ou le genre en texture « pain au lait », résolument mou par nature industrielle).
10 g de beurre doux (optionnel, très fin, car machinal, comme un geste conditionné par la société consumériste).
Cœur du sandwich
2 tranches de jambon cuit standard (ou blanc de dinde, variante “régime maison” proche de la date de péremption, pris au rayon anti gaspi).
1 tranche de fromage fondu sous plastique (type emmental “sandwich”).
3–4 feuilles d’iceberg (croquante, sans caractère) ou de laitue (presque fanée).
2 rondelles de tomate (un peu pâle), épépinées ou OGM sans pépins.
3 micro rondelles de cornichon aigre-doux, « juste pour dire ».
Sauce « hypermarché »
1 c. à soupe de mayonnaise en tube
1 c. à café de moutarde douce
1 c. à café de jus de cornichon
Poivre blanc fin, sel léger
(Option souvenir : 1 rondelle d’œuf dur ou un triangle de fromage fondu cabossé dans son papier d’alu d’où il est difficile de l’extraire — pour faire années “boîte à pique-nique”.)
Préparation (précise et sans lyrisme)
Sauce :
Mélange mayo + moutarde + jus de cornichon. Poivre blanc. Goût : docile, mais net.
Pain :
Ouvre la demi-baguette. Si pain de mie : retire les croûtes (plateau-télé, 1992). Beurre en voile, ou non.
Montage
Étale la sauce des deux côtés (pas trop. Faut pas gâcher).
Pose jambon → fromage → iceberg (essorée) → tomate → cornichon.
Remets un fil de sauce (pour l’audace, désabusée malgré tout).
Ferme.
Forte pression. (On est quelque peu écrasé par le quotidien)
Emballe 2 minutes dans un morceau de papier alu ou sous un sac de courses plié : ça soude, ça ramollit quelque peu, sinon davantage. C’est le récit du réel cuisiné.
Service.
Sur un plateau en plastique avec serviette en papier. Lumière franche. Surtout pas de décor.
Note de dégustation
Attaque douce (mayo + pain), puis grain social (cornichon + moutarde), un fond “cantine” du fromage.
Ça ne surprend pas, ça se reconnaît. On mange debout dans la cuisine, le regard flou, et des images arrivent : l’hypermarché un samedi, les néons, les conversations basses, un sac du magasin posé sur la chaise. On peut regarder en mangeant une vieille photo jaunie dans un sous-verre ébréché auquel il manque une attache ; souvenir du temps où on était forcé d’aller se baigner avec un maillot de bain en laine tricotée. En mâchant la bouchée molle, on cherchera quelle année et sur quelle plage a été prise la photographie. On peut aussi chercher le ticket de caisse humide qui y est lié, le lire attentivement en vérifiant qu’on a bien cumulé des points fidélité.
Variantes commémoratives fidèles à l’esprit
« La Place » : beurre + rillettes à la place de la mayo/fromage ; cornichon maintenu. Plus sec, plus franc. Un verre de vin râpeux de bistrot années 50 peut accompagner.
« Les Années » :
1979 : pain de mie + œuf dur + mayo.
1992 : apparition de l’iceberg et du fromage “sandwich”.
2008 : identique mais yaourt nature en dessert, étiquette “0%” en regard silencieux.
« Regarde les lumières, mon amour » : même recette, papier d’emballage transparent ; on mange dans la voiture sur le parking, notes mentales en marge.
Accords (sans pose)
Soda light très froid ou café filtre tiède (thermos).
Musique en fond
Radio généraliste, muzak ou bande de reprises de tubes au synthé accompagnées par des chanteurs inconnus, publicité (bref le réel).
(*) élaborée en co-écriture avec ChatGPT, que j’entraîne sur mes écrits, approches et traitement de sujets depuis janvier 2023 et en lui donnant des consignes particulièrement tordues selon le projet. Puis j’en rajoute et j’améliore, car dans cette cuisine, c’est moi le chef. Illustrations : ChatGPT.
À venir : le Sandwich Raymond Queneau — « Exercice de style(s) ».
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- [Où étais-je le… ?] 05 juin 2023, devant un distributeur de sandwichs où soudain surgit la gastro-littérature